we were not lovers, WE WERE LOVE
Dix-huit ans, neuf-cent-trente-neuf semaines et beaucoup plus de jours. Une existence banale jusqu'ici. Une vie des plus normales, un normal qui en devenait même chiant. C'est ce qu'Adriel c'était toujours dit. Non pas qu'il enviait ces personnes qui galéraient jour après jour, mais son existence lui paraissait trop plate. C'était pour ça qu'il s'était mis à vendre du cannabis et à fumer. Pour ça et pour l'argent aussi, bien sûr. Ça lui apportait une certaine satisfaction, il avait l'impression de sortir de la norme. Il ne faisait pas ça pour contrarier ses parents, ils en savaient rien bien sûr. Non, il faisait ça pour lui. Pour dire à cette société d'aller se faire foutre. Cette société qui essayait de lui imposer des règles dans lesquelles il avait grandi toute sa vie. Et qu'est-ce qu'elles lui avaient apporté ces règles ? Rien. Une existence plate, c'est tout. Adriel, c'était pas le genre à suivre ce qu'on lui imposait. Jamais d'accord avec l'opinion général et du genre à se foutre de tout. Il refusait de rentrer dans le moule. Et ça lui faisait encore plus plaisir lorsque ça pouvait agacer tous ces conformistes. A cette époque, Adriel, il profitait des gens. Il profitait des cons du lycée, des cons de l'extérieur aussi. C'est comme ça qu'il se retrouvait souvent aux fêtes de Seth et de toute sa bande, pour faire son petit commerce. Profiter des gens, de leur soif de popularité et de leur désir de faire tout comme les autres. Il vendait à ceux qui voulaient se donner un style mais aussi à ceux qui influençaient les autres. C'est au cours d'une de ces soirées qu'il la remarqua. Elle était pas comme les autres, il l'avait tout de suite vu. Il était en pleine transaction avec un mec et il pouvait sentir qu'on l'observait. Une fois le gars partit, il tourna la tête et elle était là. Appuyée contre un mur, à le fixer, un sourire aux lèvres. Pas ce genre de sourire sans signification. Un sourire qui voulait tout dire sur ce qu'elle pensait. Elle était amusée, interloquée aussi. Après un bref instant à soutenir son regard, Adriel décida d'avancer vers elle.
« T'es intéressée ? » Mais non, elle l'était pas. A vrai dire, elle avait jamais fumé. Ça, Adriel l'apprit un peu plus tard dans la soirée, alors qu'il avait continué de discuter avec elle. Cette fille, il l'avait déjà vu plusieurs fois au lycée. Mais il ne s'était jamais arrêté sur elle. Adriel ne faisait que très rarement attention aux gens qui l'entouraient et pour le coup, il regretta de ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Parce qu'il se sentit tout de suite à l'aise avec cette fille. Il passa la soirée avec elle. Leur première soirée. Ils s'isolèrent dehors à un moment, pour être plus tranquilles. Il la laissa fumer sur son joint et ne put s'empêcher d'éclater de rire en la voyant tousser. Un fou rire qui s'amplifia lorsqu'elle commença à ressentir les effets de la drogue.
« T'es complètement stone, c'est vraiment drôle à voir. » « Tu te moques de moooi. » « Franchement, tu le ferais aussi si tu pouvais te voir. » Puis ils continuèrent à discuter lorsqu'elle commença à reprendre ses esprits. Et ils n'arrêtèrent que lorsque le soleil commença à se lever et que tous deux étaient morts de fatigue. Adriel savait déjà que cette fille allait avoir une place importante dans sa vie. Il en était sûr, sans pouvoir l'expliquer. Et cette nuit là, lorsqu'il s'endormit finalement, la dernière chose auquel il pensa fut son prénom. Leana.
we hurt each other than we do it again
« Je sais que tu n'es pas heureuse, et ça me rend malade. Mais crois-moi, on peut y arriver, on peut être heureux. » C'était toujours le même discours, toujours les mêmes paroles. Chaque dispute se terminait de la même façon, continuellement. Adriel était sans aucun doute celui qui avait le plus foi en leur relation, mais Leana avait déjà tellement sacrifié pour eux. Sa famille, son ancienne vie, pour qu'ils puissent être heureux, mais ils ne l'étaient pas. Cette idylle, elle les rendait malade. Il y avait trop de passion entre eux, tout ça n'était pas sain, mais c'était bien la seule chose qui leur permettait d'avancer. Sans Leana, Adriel se sentait incomplet, vide. Elle donnait un sens à sa vie, elle lui donnait un but. Il l'aimait, plus qu'il n'avait jamais aimé personne, et il ne pouvait concevoir de la perdre. Des efforts, il avait essayé d'en faire, mais à chaque fois ils revenaient au point de départ. Tout le monde jugeait leur relation peine perdue, mais eux n'arrivaient pas à l'admettre, à le voir. Voilà quelques années qu'ils se débattaient avec leurs sentiments houleux, qu'ils essayaient de trouver une logique à tout cela, en fermant les yeux sur les évidences que leurs proches leur mettaient devant eux.
« On peut plus continuer comme ça, tu le sais. On en a déjà parlé, c'est plus possible. Je pense qu'on est arrivés à un stade où il faut que quelqu'un prenne cette décision. Il faut que quelqu'un dise stop. Je dis stop. » Adriel n'avait même pas su quoi dire à ce moment. Il l'avait laissé partir, alors qu'il aurait dû se battre, plus que jamais, pour elle. Une part de lui-même lui disait qu'elle avait fait le bon choix, pour eux deux, parce qu'il n'avait jamais eu le courage de le faire lui-même. Leana avait toujours été la plus courageuse d'eux deux, et cette pensée lui arrachait un sourire. Mais une autre part, bien plus imposante, criait au désespoir. Jamais il n'aurait pensé pouvoir se retrouver sans elle, même si leur relation était bancale, ça n'était pas concevable pour lui. Et maintenant il se retrouvait seul, vidé, dans un appartement qui paraissait trop grand, et dans lequel il ne se sentait pas à l'aise.
Is a house really a home when your loved one is gone.
they say every atom in our bodies was once part of a star. MAYBE I'M NOT LEAVING, MAYBE I’M GOING HOME.
Adriel eut bien du mal à se remettre de cette séparation. Il ne s'en remit jamais vraiment d'ailleurs, mais au début, ce fut pire. Il n'était plus que l'ombre de lui-même, il ne sortait plus, ne faisait plus rien. Ses parents essayaient de le réconforter, de lui dire que la vie ne s'arrêtait pas, mais il n'avait pas envie de les écouter. Ses parents l'avaient toujours soutenu, ils avaient accepté Leana dans leur famille avec plaisir, mais ça n'était pas d'eux dont il avait besoin aujourd'hui, c'était d'elle. Il avait l'impression d'étouffer dans cette ville. S'il ne sortait plus, c'était par peur de la croiser. Il se trouvait pitoyable, mais n'avait pas la force de se ressaisir. C'était un cercle vicieux qui l'entraînait dans la pénombre.
Les semaines, les mois passèrent, et Adriel n'arrivait plus à se supporter. Cette séparation l'avait rendu amorphe. Il prit alors une décision, sur un coup de tête. Il allait partir, faire le tour du monde, avec l'argent qu'il avait gagné en vendant de la drogue. Il avait décidé ça un soir, et le lendemain il partait en bus, sans avoir prévenu personne, sauf ses parents à qui il avait laissé une lettre. Il savait que c'était dangereux, et même stupide, mais il s'en fichait complètement. Sa vie n'avait plus de valeur aujourd'hui de toute manière. Il rencontra Wendy peu de temps après, et elle le suivit dans son escapade.
Ce voyage dura deux longues années. Deux années de pur rêve, de rencontres exceptionnelles, de paysages magnifiques. Il partit tout d'abord faire le tour des Etats-Unis, en passant par le Canada. Il descendit ensuite en Amérique du Sud, après quoi il se rendit en Europe, puis en Asie et enfin en Océanie. Ce voyage ne fut pas des plus faciles, mais ils purent compter sur la gentillesse des personnes qui les accueillirent chez eux pour la nuit. Il apprit beaucoup de choses durant ce voyage, des cultures, des langues. Ce fut sans aucun doute la plus grande expérience humaine qu'il vivrait dans sa vie. Ce furent deux années magiques, qui passèrent bien trop vite à son goût.
'cause they say home is where your heart is set in stone.
IS WHERE YOU GO WHEN YOU'RE ALONE.
[color=#99cc66]« J'ai pas envie d'aller là-bas et de revoir toutes ces personnes dont j'en ai rien à foutre. » Ce tour du monde avait été bénéfique, il avait pu changer grâce à cela, il avait pu se reconstruire, mais Leana était toujours dans le coin de sa tête. Et ça, Wendy l'avait compris, c'était pour cela qu'elle insistait pour qu'il aille à cette réunion d'anciens élèves. Elle avait même proposé de l'accompagner, pour le soutenir. « Tu vas y aller pour retrouver Leana. Va la retrouver, va lui dire que tu l'aimes toujours, sinon tu le regretteras toute ta vie lorsqu'elle sera mariée et qu'elle aura des enfants avec quelqu'un d'autre que toi. » Wendy avait réussi à cerner Adriel en deux ans, elle le connaissait très bien désormais. Après plusieurs nuits de non sommeil, il se décida finalement à aller à cette réunion. Mais le destin est bien drôle parfois et c'est par hasard qu'Adriel tomba sur Leana à Baltimore. Il ne savait pas qu'elle avait déménagé ici et même si ça avait été le cas, la ville aurait dû être suffisamment grande pour qu'ils ne se croisent pas. Passé le premier choc, il prit son courage à deux mains pour aller lui adresser la parole. « Excusez moi mais, est-ce que je vous connais ? » Ce fut comme un coup de poing pour Adriel. Elle ne le reconnaissait plus, comment était-ce possible ? Sous le coup de la panique, il bégaya des excuses avant de s'en aller. Il ne comprenait plus rien. Ses parents lui apprirent par la suite qu'elle avait été victime d'un accident de voiture, et qu'elle avait complètement perdu la mémoire. A ce moment là, Adriel abandonna tout espoir de retrouver un jour la femme qu'il avait aimé. Elle ne se souvenait plus de lui, plus d'elle-même, plus d'eux.